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« Pour une Suisse romande où il fait bon respirer »


Tribune de Genève : L’homme qui combat la fumée passive

TABAC - Alors que le peuple votera en février sur la fumée passive, l’économiste Pascal Diethelm revient sur l’affaire Rylander
 

Il vient d’être honoré par l’Université pour son courage dans l’affaire Rylander. Avec le médecin Jean-Charles Rielle, l’économiste Pascal Diethelm, 63 ans, est l’homme qui a révélé « la fraude scientifique sans précédent » orchestrée par l’industrie du tabac à Genève. Pendant trente ans, un professeur de l’Université, Ragnar Rylander, était grassement payé par Philip Morris pour nier le danger de la fumée passive.



N’est-il pas ironique que l’Université, qui n’a jamais blâmé Rylander, vous honore aujourd’hui?

C’est l’aboutissement d’un long processus. Il y a toujours eu un déchirement au sein de l’Université. Finalement, la défense de l’intégrité de la science l’a emporté.

Découvrir ce scandale vous a pris des mois entiers.

Je travaillais pour l’OMS. En 1998, l’industrie du tabac s’est engagée à publier ses archives sur Internet. Lors d’une conférence à Atlanta en 1999, j’ai pris l’engagement de m’intéresser à ce qui concernait la Suisse. Mon idée était que l’industrie se replierait sur les pays lui offrant un sanctuaire. La Suisse en était un tout désigné, par son culte du secret, sa législation favorable à l’industrie, les pénalités dérisoires infligées en cas de procès, etc.

Pensiez-vous, en 1999, « trouver » quelque chose?

Dès cette époque, c’était mon souci. Le nom de Rylander est apparu en 2000, comme l’organisateur de symposiums exonérant totalement la fumée passive.

Depuis vingt ans on savait qu’elle était dangereuse. Là, des scientifiques affirmaient le contraire. Le doute est réapparu. J’ai alors compris que Rylander était un personnage clé chez Philip Morris.

En quel sens?

J’y ai passé des nuits entières. J’ai trouvé dans les archives des copies de chèques versés sur son compte privé, des listings montrant qu’il avait reçu un demi-million de dollars en trois ans. Consultant de Philip Morris, il touchait un forfait de 100'000 dollars, quoi qu’il fasse. Rylander était le principal penseur des stratégies de déni. Dès les années 70, il dirigeait en secret les recherches d’un laboratoire allemand. Il était la personne la mieux informée du monde sur les dangers de la fumée passive. Et il les niait en public.

Vous dénoncez les faits en 2001. Cela vous vaut une poursuite et une condamnation pour diffamation. Vous y attendiez-vous?

Non, nous avions une grande confiance en nous car tout ce que nous disions était étayé par des preuves. La première condamnation nous a mis K. -O. debout. C’était très frustrant. Et puis il y avait tout un aspect subjectif: nous étions vus comme des agités, des fauteurs de troubles. Une image d’extrémistes nous collait à la peau. La partie adverse nous disait « assoiffés de publicité personnelle ».

Finalement, vous gagnez en décembre 2003.

Ce fut une grande victoire. Nous avons toujours su qu’il fallait du temps pour que la prise de conscience se fasse. Nous ne voulions pas d’un jugement rapide, qui aurait tué l’affaire dans l’œuf.

Vous critiquez vertement l’attitude de la Suisse face au tabac.

A l’heure où la communauté internationale se mobilise contre le tabac, la Suisse lui ouvre largement les portes. Ça me rappelle étrangement l’époque de l’apartheid. Alors que le monde entier se mobilisait pour boycotter le régime de Pretoria, la Suisse intensifiait ses échanges avec lui. Ce pays essaie d’avoir une prime à la non-solidarité avec le reste du monde. On retrouve là d’anciens démons suisses...

Sophie Davaris

« Les mentalités ont changé »

En février, Genève votera sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Les mentalités ont-elles évolué?

Je le crois. Il a fallu du temps pour que la population assimile le fait que la cigarette n’est pas «incommodante» mais nocive. Elle tue, en Suisse, 8000 à 9000 personnes par an. Les cigarettiers n’ont admis le lien entre cancer et fumée active qu’en 2000. Quant à la fumée passive – responsable de 1000 morts par an en Suisse – elle n’a été classifiée comme agent cancérigène qu’en 2002.

L’avocat Charles Poncet, votre brillant défenseur contre Rylander, s’oppose à l’initiative.

Oui, il nous a défendus avec beaucoup de conviction. C’est un ami. Il adore la satire, la polémique. Il est si radical que chacune de ses prises de parole nous attire du monde.

Comprenez-vous les arguments des opposants?

Invoquer la liberté n’est pas pertinent car la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Certains défendent une économie libérale et consumériste. D’autres ont déformé l’initiative et l’ont rendue extrémiste, disant qu’elle voulait interdire de fumer en prison.

Certains disent que les lieux publics perdront en convivialité.

C’est faux. Ce sont les zones fumeurs/non-fumeurs qui créent de la ségrégation. Dans des lieux publics sans fumée, on se retrouve tous ensemble, débarrassés de ce critère. Une enquête de l’Université de Zurich a révélé que 25% des gens évitaient les établissements publics à cause de la fumée.

A terme, que préconisez-vous?

Il ne faut pas interdire le tabac mais supprimer sa profitabilité. Lui enlever son aura de glamour. Je pense qu’il faut renationaliser l’industrie, la placer sous tutelle de la santé publique et arrêter d’en faire la publicité. On fournira le produit, mais avec une information complète sur ses dangers et les méthodes de sevrage.

Sophie Davaris


(Dossier 07-005 - 2007-12-11)



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