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Les fumoirs polluent le débat sur la fumée passive

Les opposants à l’initiative populaire constitutionnelle genevoise « Fumée passive et santé » lui reprochent d'aller trop loin en excluant des emplacements strictement réservés aux fumeurs, les fameux « fumoirs ». Tout en admettant le principe de la protection des personnes contre l'exposition à la fumée passive, certains voudraient qu'une exception soit faite pour permettre des fumoirs dans lesquels aucun service n'aurait lieu afin de pas exposer le personnel à l'atmosphère toxique qui régnerait dans ces locaux. L'état actuel des connaissances montre, cependant, que la notion de fumoir n'est pas compatible avec l'exigence de protection efficace des personnes contre l'exposition à la fumée de tabac dans l'air ambiant.

Résumé

  • Les fumoirs sont une source de pollution de l’air ambiant
  • Toute pollution se traite à sa source – les fumoirs font entrave à ce principe
  • En théorie, il y a beaucoup de promesses concernant les fumoirs, mais elles ne sont pas tenues dans la réalité
  • Les systèmes de ventilation sont inefficaces
  • Les fumoirs ne correspondent pas aux désirs des fumeurs et sont sans avenir
  • Les professionnels de la ventilation recommandent l’interdiction totale de fumer, sans fumoirs
  • Seule une interdiction totale de fumer permet d’être en conformité avec la Convention-cadre de l’OMS
  • Les fumoirs ne profitent qu’à l’industrie du tabac
  • L’interdiction totale de fumer est l’une de mesures de santé publique les plus efficaces, qui permet de sauver de nombreuses vies à moindre prix

 

Les fumoirs sont une source de pollution de l’air ambiant

Cliquez sur l'image pour l'aggrandirLes fumoir sont une source de pollution de l’air ambiant à deux titres. Tout d’abord, un fumoir est un lieu qui est lui-même fortement contaminé par la fumée de tabac, à cause de la concentration de fumeurs (généralement de gros fumeurs) qui y viennent pour fumer, et pour rien d’autre (l’expérience montre que la plupart des fumeurs eux-mêmes évitent les fumoirs – voir par exemple ce qui s’est passé avec les compartiments fumeurs des TGV en France). Cette contamination a une grande persistance, puisque le temps de vie de certaines substances parmi les plus toxiques est de plusieurs heures, voire même plusieurs jours (acétaldéhyde : 9 heures ; acroléine : 7 heures ; benzène : 10 jours ; formaldéhyde : 4 heures ; toluène : 2,5 jours ; gaz PAHs : 3-27 heures). Il est inévitable que du personnel soit amené à travailler dans ces locaux fortement pollués. Ce personnel sera donc contraint de s’exposer à un agent toxique pour effectuer son travail, ce qui n’est pas admissible.

Les fumoirs sont une source de contamination de l’air ambiant à un deuxième titre : l’exigence que ces fumoirs soient totalement hermétiques et qu’aucune fumée ne s’en échappe n’est simplement pas réaliste. En pratique, les fumoirs sont une source de contamination de l’air des espaces environnants. Dans le graphique ci-contre, la qualité de l’air a été mesurée dans la partie non-fumeur d’un bar doté d’un fumoir. L’expérimentateur se trouvait à quelques tables de la porte du fumoir. On voit que chaque fois que quelqu’un entrait ou sortait du fumoir, la qualité de l’air dans la partie non-fumeur se détériorait sensiblement, pour devenir toxique. Dans ce bar, la pollution moyenne de l’air était nettement supérieure à celle des autres bars n’ayant pas de fumoir.

Une étude a récemment comparé la qualité de l’air d’un aéroport muni de fumoirs (Lambert St Louis International Airport) et celle d’un aéroport où il est totalement interdit de fumer (Seattle-Tacoma International Airport). La conclusion est claire : « Cette étude montre que les fumoirs dans les aéroports exposent les personnes dans les espaces non-fumeurs adjacents aux fumoirs à des concentrations significatives de vapeurs de nicotine due à la fumée de tabac dans l’air ambiant. » (M Pion, M S Givel, Airport smoking rooms don’t work. Tobacco Control 2004; 13 (Suppl. 1):i37-i40) Et pourtant on peut présumer qu’un aéroport a les moyens et la motivation de construire des fumoirs en mettant en oeuvre les solutions de ventilation les plus performantes et peut régulièrement assurer leur entretien. Malgré ces conditions optimales, les fumoirs ont néanmoins pollué l’air environnant de façon significative.

Toute pollution se traite à sa source – les fumoirs font entrave à ce principe

Lorsque l’on est confronté à une pollution de l’air intérieur par une substance toxique, quelle qu’elle soit, la règle fondamentale est d’identifier d’où provient la pollution et de l’éviter en la supprimant à la source. Ainsi, la directive européenne 89/391/CEE « concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail » indique très clairement, dans son article 6.2, que les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs doivent être fondées sur les « principes généraux de prévention suivants :

  1. éviter les risques ;
  2. évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
  3. combattre les risques à la source ;
  4. … »

Nul ne conteste aujourd’hui que le risque associé à l’exposition à la fumée passive est évitable. La fumée émise par les fumeurs dans lieux intérieurs ou fermés en est l’unique source. L’interdiction totale de fumer dans ces lieux supprime donc à sa source, et comme il se doit, ce risque évitable. Elle est simple à mettre en œuvre et ne comporte pas de coûts particuliers – hormis une signalisation adéquate.

Le fait d’accepter des fumoirs, c'est-à-dire des lieux intérieurs dans lesquels on continue de fumer - et donc de polluer l’air ambiant - introduit une exception à ce principe d’élimination du risque à la source. Une telle exception pourrait à la rigueur être envisagée à deux conditions : d’une part, elle devrait correspondre à une nécessité pour laquelle il n'y a pas d'alternative possible, et, d’autre part, il devrait y avoir des garanties très solides que les fumoirs ne présentent aucun risque de contamination de l’air ambiant des autres parties de l'immeuble dans lequel il se trouve, ni aucun danger pour la santé publique. Force est de constater que les fumoirs ne remplissent ni l’une, ni l’autre de ces deux conditions.

En théorie, il y a beaucoup de promesses concernant les fumoirs, mais elles ne sont pas tenues dans la réalité

La loi italienne sur l’interdiction de fumer, qui admet des fumoirs, soumet ceux-ci à des spécifications très strictes : différence de pression de l’air entre le fumoir et son environnement, pour assurer que le flux de l’air aille de l’extérieur vers l’intérieur, porte coulissante se fermant automatiquement, système de renouvellement de l’air très puissant, avec apport d’air frais et élimination de l’air vicié à l’extérieur du bâtiment, volume du fumoir n’excédant pas un pourcentage du volume total de l’établissement, etc. Non seulement ces spécifications font que l’installation d’un fumoir est un investissement très coûteux (et très peu rentable si aucune prestation ne peut y être effectuée), mais rien ne garantit que, dans la pratique quotidienne, ces spécifications théoriques soient observées de façon constante et produisent les effets escomptés. Au contraire, tout porte à croire que ce n’est généralement pas le cas.

Lors d’une rencontre entre Philip Morris et une délégation de Gastrosuisse, les représentants de la restauration s’accordèrent à constater que « les taux de ventilation prescrits sont rarement réalisés », ainsi que l’atteste un rapport interne du cigarettier :

Si les exigences techniques actuelles, qui sont relativement peu contraignantes, ne sont pas satisfaites, on peut deviner ce qu’il pourrait en être d'exigences beaucoup plus strictes, telles que celles préconisées pour les fumoirs. Et ce d’autant plus que l’intérêt économique de ceux-ci est faible, voire nul, si on exclut la possibilité d'y servir. La motivation d'assumer les frais d'entretien et la consommation en énergie nécessaire pour que le fumoir satisfasse les exigences légales sera donc forcément très faible. Les fumoirs risquent rapidement de devenir, comme cela s'est vu ailleurs, des espaces « glauques » qui sentent la fumée froide et dont le décor se dégrade rapidement du fait des dépôts de goudron.

Les systèmes de ventilation sont inefficaces

De nombreux travaux ont démontré que les systèmes de ventilation, même les meilleurs et les plus puissants, ne sont pas capables d’offrir une protection sanitaire suffisante aux occupants d’une pièce où l’on fume. (Voir par exemple les travaux de J. Repace aux USA)

Une équipe de chercheurs européens de l’Institut pour la santé et la protection des consommateurs a conduit des recherches sur l’efficacité des systèmes de ventilation. Voici ce qu’ils concluent : « Les observations préliminaires indiquent que des changements dans les taux de ventilation qui simulent la situation dans de nombreux environnements résidentiels et commerciaux exposés au tabagisme n’ont pas une influence significative sur les niveaux de concentration dans l’air des constituants issus de la fumée de tabac… Ceci suggère que les efforts pour réduire la pollution de l’air ambiant qui a son origine dans la fumée de tabac à l’aide de taux plus élevés de ventilation dans les immeubles ne déboucheraient pas sur des améliorations significatives de la qualité de l’air ambiant. » En d’autres mots, la ventilation ne marche pas.


Même le cigarettier Philip Morris reconnaît que la ventilation ne peut que réduire l'aspect visible et l'odeur de la fumée de tabac, mais ne constitue pas une réponse adéquate au problème sanitaire provoqué par la fumée passive. Le texte ci-contre est extrait du site de Philip Morris USA, rubrique « Public Place Smoking » (accès le 10 juillet 2004). La constatation de Philip Morris revient à dire que la ventilation réduit les aspects perceptibles de la fumée passive, ceux qui sont utilisés par nos sens pour nous avertir d'un danger, sans toutefois supprimer le danger lui-même. Le danger est donc masqué, ce qui, paradoxalement, augmente le risque d'être exposé, puisque les mécanismes naturels de défense de l'organisme, qui conduisent généralement à l'évitement du danger, sont neutralisés.

Les fumoirs ne correspondent pas aux désirs des fumeurs et sont sans avenir

L’installation d’un fumoir est une opération coûteuse, dont la rentabilité est plus que douteuse – surtout si aucune prestation ne peut y être effectuée – et dont rien ne garantit qu’il restera en place suffisamment longtemps pour que l’investissement soit amorti. D’autre part, relativement peu d’établissements actuels ont des locaux qui leur permettent d’aménager un fumoir. Les professionnels de la restauration craignent que les fumoirs introduisent une inégalité entre eux, les petits établissements (la majorité) n’ayant pas les moyens de s’équiper de fumoirs et préférant réserver leur espace utile au service. D’autre part, l’expérience d’établissements ayant opté pour des fumoirs montre que de nombreux fumeurs préfèrent sortir à l’air libre pour fumer leur cigarette plutôt que d’aller s’enfermer dans une pièce close dont l’air est fortement vicié et dont l’état général, tant visuel qu’olfactif, est dégradé par la présence constante de fumée.

Les professionnels de la ventilation recommandent l’interdiction totale de fumer, sans fumoirs

L’organisation professionnelle ASHRAE (American Society of Heating, Refrigerating and Air-conditioning Engineers), qui définit les standards de la ventilation, a récemment annoncé sa position officielle sur la question de la fumée passive (Environmental Tobacco Smoke, Position Document Approved by ASHRAE Board of Directors, June 30, 2005). Sa recommandation : « Une interdiction totale de fumer est le seul moyen efficace de contrôler les risques associés à l’exposition à la fumée de tabac dans l’air ambiant. » (gras ajouté)

Dans le monde, plusieurs pays, états ou provinces ont déjà adopté des législations interdisant de fumer dans les lieux de travail et les lieux publics intérieurs. La règle est l’interdiction totale – suivant la recommandation de ASHRAE. (Voir la liste des pays, états et provinces ayant opté pour une telle interdiction)

Seule une interdiction totale de fumer permet d’être en conformité avec la Convention-cadre de l’OMS

La question apparaît donc comme évidente dans sa simplicité : l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail intérieurs est la seule mesure vraiment efficace pour la protection contre l’exposition à la fumée du tabac dans ces lieux. Au vu de la position officielle de ASHRAE, seule cette interdiction permet donc de satisfaire l’exigence de l’article 8 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui impose aux parties ayant ratifié cette convention de prendre des mesures de protection efficaces contre l’exposition à la fumée du tabac.

Les fumoirs ne profitent qu’à l’industrie du tabac

Si la question est si évidente que cela, pourquoi alors une telle insistance pour des fumoirs ? Sont-ce les fumeurs qui réclament ces fumoirs à grands cris ? Pas vraiment, et si ceux qui les réclament sont souvent aussi des fumeurs, cela est à titre accessoire. Avant tout, ils défendent, plus ou moins ouvertement, les intérêts de l’industrie du tabac, qui utilise le fumoir comme une sorte de cheval de Troie, pour faire échouer l’interdiction de fumer dans les lieux publics et préserver le statu quo. Ce qui motive l’industrie d’agir comme elle le fait est bien expliqué dans une note interne de Philip Morris de 1992, qui commente une étude effectuée à cette époque par ses soins (et on peut compter sur le sérieux d’une telle étude, car les cigarettiers n’ont pas l’habitude de baser leurs stratégies marketing sur des résultats peu fiables) :

  1. L’interdiction totale de fumer sur le lieu de travail affecte fortement le volume d’affaires de l’industrie. Les fumeurs qui sont confrontés à de telles restrictions fument de 11% à 15% moins que la moyenne et le taux de ceux qui arrêtent de fumer est 84% supérieur à la moyenne. (…)
  2. Les interdictions plus douces, telles que celles qui permettent de fumer dans des lieux désignés, ont beaucoup moins d’impact sur le taux d’arrêt et ont très peu d’effet sur la consommation.

L’interdiction totale de fumer est l’une de mesures de santé publique les plus efficaces, qui permet de sauver de nombreuses vies à moindre prix

A aucun moment, et dans aucun document de l’industrie du tabac, on ne trouve la moindre préoccupation pour la santé des personnes exposées à la fumée passive, qu’il s’agisse des employés ou des clients des établissements publics, ou d’autres personnes. Ce qui inquiète Philip Morris en l’occurrence, est justement que l’interdiction de fumer a un effet sur la consommation, et que cela affecte son chiffre d’affaires, et donc ses profits. Or, cette réduction du chiffre d’affaires du cigarettier est la traduction commerciale d’un phénomène important : une nette diminution du tabagisme dans la population.

En fait, ce qui gène l’industrie est que les interdictions totales de fumer dans les lieux publics intérieurs aident beaucoup de fumeurs à s’arrêter, doublant pratiquement le nombre de fumeurs qui y arrivent, et permettent aux autres fumeurs de réduire leur consommation. Tout cela représente une avancée pour la santé publique, puisque ainsi de nombreuses morts et maladies peuvent être évitées. Cette analyse de Philip Morris met en évidence une conséquence importante de l’interdiction totale de fumer dans les lieux de travail et les lieux publics intérieurs : non seulement cette mesure protège les non-fumeurs de la fumée passive, mais encore, et peut-être plus significativement encore, elle protège de nombreux fumeurs en les aidant à sortir de l’addiction tabagique (ce qui correspond au souhait de la majorité d’entre eux) ou à réduire leur consommation.

De plus, une interdiction totale de fumer dans les établissements publics incite les jeunes à ne pas commencer à fumer. Dans une étude récente (M. Siegel, et al. Effect of local restaurant smoking regulations on progression to established smoking among youths, Tobacco Control, 2005; 14:300-306), des chercheurs ont comparé les villes dans lesquelles des interdictions partielles (fumée restreinte à des zones fermées et ventilées séparément) ont été mises en place avec des villes ayant décrété une interdiction totale de fumer dans les établissements publics. Ils ont constaté que dans les villes ayant opté pour une interdiction partielle, autant de jeunes commencent à fumer que dans les villes sans restrictions, alors que dans les villes ayant institué une interdiction totale (sans fumoirs), la proportion de jeunes qui commencent à fumer diminue de moitié. Pour mieux comprendre l’importance d’une telle diminution, il faut savoir que pour quatre jeunes qui commencent à fumer, un mourra prématurément à cause du tabac, perdant 20 années de vie. En d’autres termes, éviter qu’un jeune commence, c’est lui donner cinq années d’espérance de vie supplémentaires.

En fait, et incidemment, l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics intérieurs est l’une des mesures de prévention du tabagisme les plus efficaces et les moins coûteuses qui soient, qui permet de sauver de nombreuses vies pratiquement sans engager de dépenses. A Genève seulement, on peut estimer que l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics permettrait de sauver environ 80 vies par année. Il serait pour le moins paradoxal que l’on hésite encore : cela voudrait dire que nous sommes, comme le dit le Dr Michel Starobinski, « plus enclin à nous protéger à grands frais de dangers imaginaires ou hypothétiques (la grippe aviaire par exemple) que gratuitement de dangers réels mais familiers ».

Source : Texte rédigé par Pascal A. Diethelm pour OxyRomandie. Nos remerciements à Jean Barth pour avoir relu et corrigé une première version de ce texte.


(Dossier 06-007 - 2006-09-10)



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